
La thérapie génique
PRINCIPES ET ZOOM SUR LE MOLÉCULAIRE
La difficulté de cette innovation est de parvenir à faire pénétrer des acides nucléiques à visées thérapeutiques dans les cellules du patient, où ils devront atteindre le noyau. Le gène médicament doit ainsi franchir plusieurs obstacles et réaliser un véritable PARCOURS DU COMBATTANT !
Il doit traverser :
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La bicouche phospholipidique de la membrane cellulaire
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Le cytoplasme en résistant à la dégradation enzymatique (notamment par les lysosomes)
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L'enveloppe nucléaire en passant par les pores pour parvenir au noyau.
Ensuite l’expression du gène médicament doit se produire soit de façon autonome grâce à un promoteur du vecteur, soit après s'être intégré dans l’ADN hôte. Suite à la transcription puis à la traduction, la protéine doit bien sûr être fidèle à la séquence du gène thérapeutique, et doit avoir une expression durable, suffisante et efficace.
Néanmoins l’insertion du gène dans la cellule présente de nombreux risques. En effet si l’efficacité du gène est importante il doit aussi être inoffensif, c’est-à-dire qu’il n’y ait pas de répercussions négatives sur les organes et cellules avoisinants. Par exemple, dans une zone “oncogénique” dont l'expression de certains gènes favorise l'apparition d'un cancer, l’intégration du gène thérapeutique peut créer des tumeurs en “réveillant” des promoteurs oncogéniques. On ne maîtrise pas encore assez nos outils pour savoir totalement où se produit l’intégration. De plus l’immunogénicité de notre système fait office de barrières naturelles face à des organismes étrangers. Le vecteur dans lequel se trouve notre gène médicament en étant un, il est nécessaire de faire en sorte qu’il ne soit pas intercepté par nos défenses naturelles (macrophages, anticorps, lymphocytes…).
L'objectif de la thérapie génique est précis : soigner des maladies en faisant pénétrer des acides nucléiques à visées thérapeutiques dans les cellules du patient. Pour cela, différentes techniques peuvent être réalisées :
Technique 1 : suppléer le gène défectueux
Cette technique consiste à importer une copie d’un gène fonctionnel (sans le modifier) dans le génome hôte. Il s’agit de la première stratégie développée en thérapie génique.
Une maladie génétique provient d'une mutation dans l'ADN, conduisant à la traduction de protéines dysfonctionnelles. En suppléant le gène défectueux par un gène viable, cette technique permet ainsi la traduction de protéines fonctionnelles afin de compenser la fonction défectueuse et rétablir un état physiologique sain.
Cette stratégie peut être réalisée ex vivo, in situ et in vivo :
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Ex vivo :
La thérapie génique ex vivo consiste à prélever des cellules du patient, les modifier génétiquement en laboratoire en insérant le gène à visée thérapeutique dans leur génome et à les réinjecter dans l’organisme du patient. L’avantage de cette technique est de pouvoir mieux traiter les étapes d'insertion du gène dans les cellules mieux visibles en cultures. Néanmoins, cette approche nécessite une maîtrise parfaite de la culture des cellules en dehors de l’organisme et leur maintien dans des conditions particulières, telles que l’on pourra réinjecter les cellules dans l’organisme du patient.
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In vivo :
La thérapie génique in vivo consiste à insérer le vecteur directement dans la circulation sanguine. L’injection n’est donc pas difficile mais le gène devra faire face à des barrières naturelles mises en place par l'organisme comme par exemple les macrophages ou les endonucléases (qui coupent l’ADN s'il n’est pas protégé). De plus, pour atteindre un organe il faudra que le vecteur franchisse les obstacles formés par les cellules endothéliales.
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In situ :
Cette dernière technique consiste à placer directement le vecteur au sein du tissu cible. Cette approche nécessite deux choses : une vectorisation et une résistance efficaces, ainsi qu'un bon ciblage de l’organe.
→ Dans les 2 derniers cas (in vivo et in situ), l’objectif est d’intégrer le vecteur directement dans l’organisme, contrairement à la méthode ex vivo.
Technique 2 : l'édition génomique
Cette technique consiste à modifier ou éliminer un gène directement au sein la cellule et de façon ciblée. Pour cela des enzymes spécifiques (nucléases) peuvent être utilisées pour couper un fragment d’ADN pour réparer le génome et retrouver un gène fonctionnel. Trois nouveaux systèmes fonctionnent selon cette technique :
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ZFN et TALEN :
Les 2 premiers systèmes sont les nucléases à doigt de zinc ou ZFN (Zinc-Finger Nucleases) et les TALEN (Transcription Activator-Like Effector Nucleases). Ces systèmes utilisent des enzymes de restriction : des endonucléases Fokl, ayant la faculté de couper des acides nucléiques sans distinctions de séquence ou de lieu. En couplant l'enzyme à un motif protéique ou nucléotidique capable de reconnaître la localisation précise d’un domaine de liaison à l’ADN, comme “doigt de zinc” ou “transcription activator-like effector”, ces systèmes peuvent couper une séquence d’ADN à un endroit spécifique.
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CRISPR-Cas9 :
Connu depuis 2012 (voir dans l’onglet “histoire”), ce troisième système est considéré comme une révolution technologique de par son efficacité et sa précision ! Il provient d’un système de défense bactérien naturel. CRISPR représente des séquences d’ADN se trouvant dans le génome des bactéries, où sont intégrés des fragments d’ADN étrangers (cela permet de mémoriser les infections passées). Lorsque ce fragment est transcrit en ARN, ce dernier va venir se fixer de manière complémentaire à l’ADN intrus. Mais cet ARN a surtout une autre propriété : il va venir guider l’endonucléase Cas9, véritables ciseaux moléculaires, vers cet ADN intrus pour couper la séquence souhaitée. De là, on peut ainsi comprendre le potentiel extraordinaire de ce système ! Il suffit “simplement” d’introduire le système CRISPR Cas9 par le biais d’un vecteur dans la cellule cible, en faisant en sorte que l’ARN guide l’enzyme Cas9 à l’endroit souhaité c'est-à-dire, la partie erronée d’une séquence d’ADN que l’on veut couper, pour modifier le gène ciblé.
Voici une petite vidéo de l'Inserm illustrant ce principe :
Pour le moment seules des recherches fondamentales sont menées avec l'édition génomique. Même si quelques essais cliniques sont en cours chez l'homme, notamment pour le traitement des maladies infectieuses comme le SIDA, la plupart se font encore sur des animaux, et seulement par une approche ex vivo.
Technique 3 : Modification directe de l’ARN
Cette technique consiste à agir directement sur l’ARN en modifiant l’épissage, afin de réduire l’expression d’un gène et faire produire par la cellule une version modifiée de la protéine qui lui fait défaut. Cela nécessite l’injection d'oligonucléotides qui sont des portions d’acides nucléiques, antisens, destinées à se fixer à l’ARN messager du gène cible lors de son expression. Les oligonucléotides sont appelés antisens car ils sont complémentaires des séquences d’acides nucléiques de l’ARN messager, appelées “séquences sens”. Cette technique permet ainsi de bloquer l’expression d’un gène délétère.
Technique 4 : Produire des cellules thérapeutiques par thérapie génique
Réparer ou supprimer un gène ne suffit parfois pas pour soigner une maladie. En associant thérapie génique et thérapie cellulaire, on peut créer des cellules avec de nouvelles capacités thérapeutiques. Les CAR T cells dans le domaine du cancer en sont un bon exemple. Cette technique consiste à extraire des lymphocytes T du patient, à les modifier génétiquement pour qu’ils puissent cibler la tumeur en question, puis à les réinjecter au patient malade. Les lymphocytes T réinjectés, ou les CAR T cells, auront pour but d'exprimer un récepteur spécifique, dit chimérique, conçu pour que sa partie extra-cellulaire reconnaisse un antigène tumoral, et pour que sa partie intérieure l'active après fixation sur les cellules cancéreuses.

Parcours à franchir du "gène médicament" dans une cellule eucaryote animale, Léo Tricoire, inspiré de Renaud Rahier (www.researchgate.net)

Schéma illustrant les étapes conduisant à la traduction d'une protéine dans le cas de l'ADN muté et de l'ADN transfecté viable, Léo Tricoire

Mode de fonctionnement des nucléases TALEN, Inserm, Addgene (www.addgene.org)

Mode de fonctionnement des nucléases ZFN, Inserm, Addgene (www.addgene.org)
CRISPR/CAS9 : une méthode révolutionnaire, Inserm

Schéma récapitulatif du rôle des oligonucléotides anti-sens dans cette démarche, traduit de la Ligue SLA (https://als.be/fr/Therapie-oligonucleotidique-antisens-contre-SLA)

Schéma récapitulatif de la technique des CAR T cells, l'Express